Du grand cinéma au documentaire, Bernard Germain passe en revue cent ans de cinéma en montagne, de Heidi à Cliffhanger, de Rasta Rockett à Free Solo. Réalisateur et guide, il réussit le tour de force de chroniquer 500 films dans lesquels la montagne est décor, ou bien les montagnards acteurs à un degré ou un autre. Vertigineux, ce Dico Vertigo fouette l’imaginaire, rappelant qu’en montagne la fiction est imprégnée de documentaire, et réciproquement. Un livre majeur, à lire absolument, et présenté au public au Festival du Film et du Livre de la Rochelle.
Dico Vertigo, Bernard Germain., Éditions Paulsen-Guérin, 432 pages, 39,50 euros
Ambitieux. Passionnant. Encyclopédique. Subjectif, forcément. Ce Dico Vertigo n’est pas le premier du genre, mais de loin le plus récent. Bernard Germain a réalisé une sélection éclectique, qui ne veut pas exclure, même s’il admet avoir été « bêtement fier » que les Bronzés font du ski ne fassent pas partie de sa culture cinématographique, chose faite (et bien faite), et tapant légitimement sur des navets comme les Randonneurs (Philippe Harel, 1997) ou Vertical Limit (Martin Campbell, 2000), la « verticale du néant ». Il s’agit donc dans un pavé de 430 pages de caser 500 films (on n’a pas compté). L’éclectisme laisse la part belle aussi bien aux œuvres cinématographiques classiques ayant un lien avec la montagne, fut-il ténu, comme La Rivière sans retour d’Otto Preminger (dont les Rocheuses forment le décor et Marylin Monroe l’avant-scène), qu’aux films documentaires, de Où vas-tu Basile ? de Denis Ducroz (l’aventure des haut-savoyards en Géorgie du Sud, 1980) au tout récent Zabardast de Jérôme Tanon. Forcément alphabétique, le classement des films sera complété par une plongée dans le riche index dont l’éditeur a heureusement pourvu le lecteur. On y trouvera même des films FODACIM visibles sur l’Alpine VOD comme le Doigt de Dieu (de Pierre Petit et Laurent Cistac, 2017)
Réalisateur (Annapurna, premier 8000 à ski, Un Pic pour Lénine, etc) et guide, Bernard Germain est un professionnel qui aime la montagne autant que le cinéma, le « cinéma d’hauteur », mais cela ne veut pas dire qu’il aime tous les films rassemblant les deux éléments. On lira avec délectation ses critiques des James Bond (listant tous ceux où 007 échappe aux méchants skis aux pieds), sa tendresse pour les documentaires parfois bancals mais sincères, sa passion absolue pour les classiques du cinéma dit de montagne. Et d’abord, de quoi parle-t-on ? Et bien l’histoire commence avec le meilleur d’entre nous, Charlie Chaplin et sa Ruée vers l’or (1925) et se poursuit par la vague des Bergfilm, ce cinéma de montagne allemand d’entre-deux-guerres inventé par Arnold Franck, où la montagne idéal de pureté sert de théâtre à l’héroïsme alpin, un cinéma qui sera dévoyé par l’actrice devenue réalisatrice Leni Riefenstahl qui fera du Bergfilm un outil du nazisme. Bernard Germain a tout vu, du cinéma chinois (Everest Rouge, 1975, sur la première chinoise de l’Everest) ou kurde : Yol, la permission, palme d’or à Cannes en 1982 (sur la résistance kurde).
Finalement, Bernard Germain nous offre un nouveau regard sur de grands œuvres du cinéma tout court, où la montagne enrobe l’intrigue, de Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino (1978) à Jeremiah Johnson (Sydney Pollack, 1972). L’occasion de revisiter des classiques indémodables aux tournages montagnards ou aventureux épiques : de Vertigo d’Hitchcock (1958) à Mission de Roland Joffé (1986), avec un évident salut aux chefs d’œuvres du maître Werner Herzog, entre cinéma et documentaire, de Aguirre la Colère de Dieu à Gasherbrum, la montagne lumineuse, avec R. Messner, film à propos duquel Bernard Germain écrit : « cela commence très fort, avec une déclaration de Messner qui révèle un mépris aristocratique pour le commun des mortels… »
Dico Vertigo révèle une passion pour le grand cinéma étranger (américain, italien…) plutôt que frenchie, à l’exception de films comme Les Tribulations d’un chinois en Chine (De Broca, 1965), une « dinguerie » avec Bébel au sommet de sa forme et de l’Aiguille du Midi, ou le Ruffian de José Giovanni.
On sent que Bernard Germain n’a guère de tendresse pour Éric Valli et son film Himalaya Enfance d’un Chef. Il avoue un sentiment ambivalent (pour ne pas dire moins) face à l’œuvre pourtant majeure de Jean-Jacques Annaud et ses « projets mégalos », de Sept ans au Tibet à l’Ours en passant par La Guerre du Feu. Ciselé, issue de plusieurs visionnages, la critique a pourtant du bon, comme celle à propos de Into The Wild de Sean Penn, de la Sanction de et avec Clint Eastwood pendu dans l’Eiger (« N’est pas James Bond qui veut ! ») ou de l’oscarisé Free Solo (voir plus bas).
Citons des morceaux de bravoure critique comme celle des Etoiles de Midi de Marcel Ichac (et les dessous du tournage, avec une gamelle de René Desmaison…) Et plein d’autres, lumineuses, franches, comme celle de La Vie au bout des doigts de J-P. Janssen avec Patrick Edlinger : « le film exerce dès sa première diffusion une sorte de maraboutage sur les spectateurs au point de porter le jeune Dieu de 22 ans au sommet de la préférence des Français. » Le résultat ? C’est le lecteur du Dico Vertigo qui est marabouté par cette somme dans laquelle on plonge et replonge, savourant à l’avance des films que l’on a vu et que l’on veut revoir, et des dizaines de films inconnus à la saveur irrésistible, aidé par une riche iconographie. Surtout, le monde du cinéma est, comme le souligne Nicolas Philibert dans sa préface, un « champ de bataille où s’affrontent des idées, des positions éthiques ou idéologiques, les films de montagne n’y échappent pas ».
Dico Vertigo, l’extrait :
Free Solo, documentaire de E. Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin (2018)
(…) Aucun grimpeur au monde ne peut dénier à Honnold d’avoir osé et réalisé la suprême performance sur El Capitan, d’avoir prouvé son excellence et sa perfection. Sinon il ne serait plus vivant. Je reste très mal à l’aise d’avoir été voyeur de cette prise de risque et stupéfait par un grimpeur qui peut dire à sa compagne : « je ne maximiserai pas mon espérance de vie pour toi » et lui reproche de rechercher le bonheur car être heureux nuirait à ses objectifs de performance (…) un film qui exalte les valeurs d’un idéal américain de surhumanité qui est dans la continuité de l’idéologie élitiste des fondateurs de la National Geographic Society. Bernard Germain.